Je suis partisane de la vérité et je ne vois pas de quel droit et pour quelle raison je pourrais décider de cacher volontairement quelque chose à quelqu’un, surtout s’il s’agit d’un évènement qui le concerne de près, à titre personnel ou à titre familial.
En tant qu’accompagnante, je suis consciente de tout ce qui peut se jouer lors de l’annonce, et en connaissance de cause je fais mon maximum pour permettre à chacun d’avancer à son rythme, en fonction de sa maturité, de ses capacités émotionnelles, physiques et intellectuelles.
En tout logique, à chaque fois je fais mon maximum pour adapter une information à un petit de 2 ans, à un enfant de 7, à un jeune de 17 ou à un adulte de 97 ans.
Pour faire ces annonces je me laisse inspirer par l’histoire de chacun, par ses sensibilités et par sa capacité à visualiser ce qui se prépare.
Pour annoncer à un jeune atteint de trisomie que son papa était gravement malade et qu’il devait faire plusieurs séjours à l’hôpital, j’ai mis en avant sa passion pour les voitures. Alors que nous étions tous les deux, je lui ai rappelé que peu de temps avant, son papa avait dû laisser leur voiture au garagiste pour qu’il puisse chercher le problème et pour la réparer. Ensuite, et une fois que j’ai eu sa validation, je lui ai expliqué que pour son papa c’était pareil, qu’il devait aller dans un hôpital, et qu’un hôpital c’était un peu comme le garage pour les voitures mais pour les personnes, je lui ai dit qu’à cet endroit beaucoup de docteurs allaient chercher ce qui n’allait pas dans le corps de son papa, et qu’ils allaient tous s’occuper de son papa. Pendant notre échange, je lui ai glissé en douceur que parfois, les mécaniciens trouvaient le problème de la voiture, et que parfois ils ne pouvaient plus réparer la voiture. Il savait que leur voiture ne pourrait plus être réparée, et j’ai pris cet exemple pour lui parler de son papa en lui disant que pour lui ce serait pareil, que les médecins allaient chercher pour voir s’ils pouvaient trouver une solution mais que ça pouvait être comme pour leur voiture. Sa maman m’en avait parlé car jusque là il avait refusé d’échanger autour de ce sujet. A la fin de notre échange il est resté en silence, comme pour intégrer l’information communiquée, je suis restée avec lui le temps nécessaire. Cette annonce se devait d’être la plus douce mais la plus vraie possible car il fallait qu’il puisse entendre que son papa avait une maladie très grave. Peu de temps après, son papa est décédé d’un cancer en phase finale.
“La non-violence, sous sa forme active, consiste en une bienveillance envers tout ce qui existe. C’est l’amour pur.” Gandhi
Je vous présente maintenant un exemple utilisé pour mes propres enfants :
- Vous vous souvenez de ce que l’on avait vu quand on voyageait et qu’il y avait eu des incendies d’un côté et de l’autre de l’autoroute ? Vous vous souvenez de ce que je vous ai expliqué à ce moment-là concernant les petites braises qui peuvent s’envoler avec le vent et se poser plus ou moins loin du gros incendie ? Je vous avais expliqué que parfois on ne voyait pas les petites braises quand elles tombaient, et que parfois il fallait plusieurs jours avant qu’elles s’enflamment et qu’elles créent un nouveau feu….
- Oui, et même que tout était brulé d’un côté, il y avait l’autoroute et de l’autre côté il y avait encore tout qui était brulé.
- Vous souvenez du cancer que votre grand-père a eu il y a 5 ans ? c’est un peu comme si ça avait été un gros incendie dans son corps….
- Oui, mais ils ont soigné ce cancer avec des médicaments et avec une opération.
- C’est vrai, l’opération c’est un peu comme s’il avaient envoyé tout de suite des pompiers sur place pour s’occuper d’un endroit très précis… et les chimiothérapies et la radiothérapie qu’il a eues, c’est un peu comme si des canadairs avaient envoyé de l’eau plein de fois et un peu partout pour éteindre tous les risques de feu possibles… mais le risque c’est qu’il reste quelques petites braises.
- Maman, si le canadair n’a pas pu éteindre toutes les petites braises, le feu peut reprendre, n’est-ce pas ?
- Oui, c’est vrai, ça peut reprendre, mais ça on ne le sait jamais vraiment, c’est pour ça qu’il y a des gardes forestiers pour surveiller de possibles nouveaux départs d’incendies… Pour votre grand-père ce ne sont pas des gardes forestiers qui surveillent mais ce sont les médecins avec les scanners et les examens qu’ils lui demandent de faire régulièrement.
- [silence]
- Maman, grand-père peut avoir comme une petite braise qui s’enflamme de nouveau et avoir un nouveau cancer ?
- C’est vrai, et c’est ce qu’ils viennent de trouver … Ce sont de mauvaises cellules qu’on appelle des métastases qui ont trouvé un chemin pour aller se mettre ailleurs dans le corps, et maintenant il a un autre cancer.
- [silence]
- Mais maman, ça veut dire qu’il peut y avoir comme d’autres petites braises ailleurs dans le corps qu’ils n’ont pas encore vues ?
- C’est vrai, c’est le risque. Pour l’instant le chirurgien va se charger de retirer ce qu’il peut, il va avoir une opération, mais après, il va être surveillé de très près et il aura plusieurs traitements.
- [silence] les enfants avaient compris que le compte à rebours était lancé et que l’incendie gagnait du terrain lentement mais sûrement.
Certains peuvent trouver ce type d’annonces puériles ou « enjolivées » mais elles laissent le temps au corps d’entendre, d’écouter et d’assimiler une nouvelle qui de toute évidence est dure à entendre.
« Grand père est très malade, il va mourir » : Bien que vraie, ce type d’annonce peut être brutale et mettre la personne à qui on apprend la nouvelle dans un état de « sidération« , mécanisme involontaire dont la définition médicale est « Anéantissement soudain des fonctions vitales, avec état de mort apparente, sous l’effet d’un violent choc émotionnel. »
Je suis partisane des annonces vraies mais en douceur et avec de la bienveillance sans pour autant être adepte des métaphores qui cachent la vérité car celles-ci ne permettent pas aux enfants ou aux adultes de s’approprier d’une vérité qu’il faut intégrer pour pouvoir commencer son deuil.
Dire à un enfant que « tonton est monté au ciel » vous expose au risque de la question « par où il est monté ? »
Annoncer à un enfant que « mamie Paulette est partie » au lieu de lui annoncer que mamie est décédée crée un doute auprès de l’enfant qui s’interroge sur ce qu’il a fait ou qu’il n’a pas fait qui justifie qu’elle soit partie sans lui dire aurevoir. Certains enfants vont verbaliser cette interrogation, d’autres vont souffrir en silence.
Prenez soin de vous et des vôtres,
Armelle
Très beau Armelle… très juste aussi. Ta double culture te permet de filer de belles métaphores…
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