
Certaines personnes ont le sentiment d’avancer dans la vie en suivant le cap, avec une vie qui peut ressembler à un long fleuve tranquille.
D’autres personnes plus aventurières, s’engagent dans des traversées volontaires ou involontaires, plus ou moins longues, parfois compliquées voire même tumultueuses, et parfois, ces mêmes personnes peuvent avoir le sentiment de devoir traverser des océans.
Le chemin de ces traversées peut être connu ou reconnu grâce au partage d’expériences transmises par l’entourage proche ou par l’histoire familiale, alors que d’autres découvrent ces nouveaux trajets parfois au détour d’une escale…
Parfois, grâce à des partages d’expériences on pense que l’on saura comment gérer toutes les traversées, qu’on saura maîtriser les courants et dompter les vents plus ou moins forts, et certains s’imaginent même qu’en apprenant et en vivant l’expérience des autres par procuration ils pourront faire des choix par avance …
Certaines personnes ont le sens de l’orientation et prennent en charge totalement leur vie comme s’ils étaient dans un navire à toute épreuve, elles savent lire entre les lignes comme d’autres savent lire une carte du ciel, elles comprennent ce qu’on leur dit, même quand c’est annoncé à demi-mots, et ces personnes sont prêtes à faire les plus grandes traversées, presque par instinct sans que l’on sache comment et pourquoi.
« Le bonheur est comme un frêle voilier en pleine mer : il suffit d’un orage pour le détruire » Léna Allen-Shore
Et pourtant, en cas de choc, même ces personnes les plus fortes peuvent perdre pied au moment de l’annonce.
Comme présenté dans un de mes articles (visible ICI) , parfois, lorsqu’une annonce est grave, il peut arriver que le cerveau passe en « mode survie » en activant une phase de sidération qui empêche toute assimilation de l’information, et, bien que la personne semble dans son état normal, bien qu’elle soit présente physiquement et qu’elle semble avoir toute sa conscience, son cerveau est pour ainsi dire en mode « beug » et ne peut pas entendre ou intégrer l’information qu’il est pourtant en train de recevoir.
Comme suite logique, tout ce qui a été dit ne peut pas être compris car pas entendu, et la suite des évènements peut alors en être complètement chamboulée, tout comme un bateau qui part à la dérive et dont on perd le contrôle.
Afin d’éviter ce genre de situation, ou du moins afin d’en limiter les dégâts, en cas de maladie grave il peut être important de trouver le phare qui va permettre de retrouver une certaine sécurité, pour pouvoir revenir vers la terre ferme, sans danger de briser la coque de son navire à l’approche du rivage.
Dans cette phase de tempête, il peut y avoir plusieurs phares qui accompagnent le malade, capitaine de son navire.
L’un de phares peut être la personne qui connait le malade, qui connait son histoire médicale et qui sait gérer avec empathie et bienveillance un accompagnement qui peut devenir lourd.
Il peut s’agir du médecin traitant, ou du médecin de famille comme on disait autrefois, il peut également s’agir d’une infirmière qui connait bien le malade, d’un kinésithérapeute ou d’un l’oncologue, mais dans tous les cas, il s’agit de quelqu’un qui saura prendre le temps d’écouter, d’expliquer et qui saura décoder les silences et les non dits pour comprendre les peurs parfois inavouées.
« Un phare ne mesure point l’éloignement. La lumière est présente dans les yeux, tout simplement » Antoine de Saint-Exupéry
Dans le cas précis de mes parents (je ne prends volontairement pas d’autres exemples) leur médecin traitant a été parfaite (et je pèse mes mots).
Le jour où l’on a annoncé à mon père les résultats de sa biopsie à l’hôpital, un rendez-vous était pris avec son médecin traitant qui avait alors dit « qu’ils viennent dans l’après midi, je prendrai le temps qu’il faut pour répondre à ses questions et pour tout lui expliquer« , ce qu’elle a fait.
La veille du premier rendez-vous avec un gynécologue, c’est le médecin traitant qui a « traduit » à ma mère les signes cliniques qu’elle avait, et qui a présenté avec beaucoup de bienveillance les diagnostics possibles qui pouvaient en découler ainsi que les suites médicales possibles. Le lendemain, lorsque le gynécologue a annoncé froidement qu’il fallait poursuivre les recherches et faire un prélèvement car c’était surement une récidive de « cancer », cela a été moins violent à entendre pour elle car la veille, elle avait eu la possibilité d’entrapercevoir cette « option ».
Après ses chimios, et la veille du rendez-vous de contrôle des 3 mois avec son oncologue, un rendez-vous était pris avec le médecin traitant de ma mère qui a pris le temps de lui « traduire » le compte rendu du scanner en langage « accessible », échange pendant lequel il a été question d’une reprise et de l’évolution du cancer. Le lendemain, pendant le rendez-vous avec l’oncologue ma mère a pu poser les questions qu’elle n’aurait surement pas pu poser autrement.
J’ai demandé ces rendez-vous avec leur médecin traitant en tant que fille et en tant que thanadoula, car de par mon expérience, je suis parfaitement consciente de l’importance de la prise en compte des besoins de chacun, et de l’importance de pouvoir avoir un temps d’échange pour permettre à chacun de s’approprier son histoire et sa maladie sans « juste » subir les soins.
Ce fonctionnement et ce double rendez-vous a eu pour unique but de montrer tant à mon père qu’à ma mère vers où tourner leur regard en cas de doute, leur médecin traitant est devenu à leur yeux le phare qui veillait et qui surveillait, qui rassurait et qui officialisait leurs choix jusqu’au tout dernier.
Ce double rendez-vous n’avait pas pour but de creuser le trou de la sécurité sociale ni de rendre telle ou telle annonce plus officielle ou plus importante qu’une autre, mais il s’agissait juste de prendre en compte chaque malade, chaque besoin et chaque histoire, de créer un cadre de confiance dans un environnement pourtant si inconfortable, plein d’incertitudes et de peurs.
Pour des enfants, il existe ce que l’on appelle la figure d’attachement (informations en cliquant ICI), en cas d’accompagnement autour de la maladie, cette figure pourrait être remplacée par quelqu’un qui devient alors un « phare en pleine tempête » en sachant qu’il peut y avoir plusieurs phares et donc, plusieurs personnes clés. Il peut s’agir d’un professionnel de santé, d’un membre de la famille avec qui la relation est spéciale, d’un ami, d’une accompagnante de la fin de vie (doula de fin de vie, thanadoula ou death doula), ou d’autres personnes, le tout étant de savoir que la personne malade ou en fin de vie peut compter sur quelqu’un tout au long de cette phase si délicate.
Dans le cas de mes parents, c’est leur médecin traitant qui a accompagné les annonces, qui a pris le temps de tout expliquer, qui a fait le nécessaire pour que les directives anticipées de mon père soient respectées, et qui a tout fait pour que le vœu le plus cher de ma mère se réalise et pour qu’elle puisse revenir chez elle avec une hospitalisation à domicile, sans le savoir, quelques heures avant son dernier souffle.
« Au milieu des ténèbres, la plus humble veilleuse brille comme un phare » Emile Gaboriau
Pour bien accompagner les personnes en fin de vie il faut savoir accepter de l’aide, mais avant tout, il faut oser la demander.
On peut difficilement traverser un océan seul, à moins d’avoir une préparation, une condition hors du commun et une embarcation très spécifique, ce qui n’est pas à la portée de tous, loin de là.
De tous temps, ce sont des navires qui s’aventurent dans les traversées longues et parfois périlleuses, et en général, dans ces vaisseaux il n’y a pas qu’une seule personne mais tout un équipage, où chacun a une place et un rôle précis, en allant du matelot jusqu’au capitaine lui-même qui décide et qui dirige son navire, et au loin, quelque part, se trouve toujours un phare.
Aussi, aujourd’hui je dédie cet article à tous ceux et celles qui sont le phare de quelqu’un de malade, aux collègues thanadoulas qui accompagnent la fin de vie et le deuil, aux médecins qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour accompagner et soulager le quotidien de leurs patients, et plus tout particulièrement au Dr T. qui est le phare de bien des patients, dont mes parents, et qui m’a confiée un jour au détour d’une conversation « et pourtant, je n’ai pas pu faire tout ce que j’aurais voulu faire…«
Armelle